La filiation des abbayes cisterciennes est la traduction concrète du principe d'autonomie et d'interrelation des divers établissements cisterciens entre eux. Mise en place par Étienne Harding à travers la Carta Caritatis au début du XIIe siècle, cette filiation a de nombreuses implications pratiques. Après la quasi-disparition de l'ordre au moment de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, le principe est repris aussi bien dans l'ordre de la commune observance que dans celui de la stricte observance ou chez les bernardines d'Esquermes.
Principes et histoire
L'abbaye de Cîteaux, fondée en 1098 par Robert de Molesme et ses compagnons, attire de nombreux postulants désireux de suivre la règle cistercienne. À partir des années 1110, la croissance de la communauté est telle qu'elle donne lieu aux premiers essaimages bientôt suivis des premières fondations. Dès les années 1120, la responsabilité de la formation monastique des nouvelles fondations cisterciennes incombe non plus à la maison mère de Cîteaux mais à l'abbaye fille de celle-ci qui devient mère à son tour parce que les religieux chargés de la construction des bâtiments et de l'initiation aux coutumes de Cîteaux de la nouvelle communauté sont issus de ses rangs. Pour favoriser la cohésion, éviter les discordes et fonder des relations organiques entre les monastères, dès 1114, Étienne Harding, abbé de Cîteaux rédige une Carta Caritatis, Charte d'unanimité et de charité. Ce document juridique « règle le contrôle et la continuité de l'administration de chaque maison, […] définit les rapports des maisons entre elles et assure l'unité de l'ordre ». Elle est complétée jusqu'en 1119, puis, au vu de nouvelles difficultés, remaniée vers 1170 pour donner naissance à la Charte de charité postérieure.
Par son esprit, elle se détache du modèle clunisien de la familia hiérarchisée en offrant une large autonomie à chaque monastère. Cîteaux reste l'autorité spirituelle gardienne de « l'observance de la sainte règle » établie au Nouveau Monastère. Chaque monastère ayant fondé une abbaye-fille a une relative préséance sur celle-ci et ce qui la concerne, notamment dans certaines décisions du Chapitre Général. Pour ce qui est des abbayes «indépendantes» les unes par rapport aux autres, c'était la date de fondation qui primait. Aussi la liste complète (tabulæ abbatiarum) des abbayes était-elle entreposée et conservée avec soin à Cîteaux, ainsi, au moins par fragments, que dans d'autres abbayes.
Chaque monastère, selon le principe de charité, doit secours aux fondations les plus démunies, les abbayes mères assurant le contrôle et l'élection des abbés des abbayes filles. L'abbé de Cîteaux garde, par ses conseils et dans ses visites, une autorité supérieure. Chaque abbé doit se rendre chaque année à Cîteaux pour le Chapitre général, organe suprême de gouvernement et de justice, célébré aux alentours de la fête de la Sainte Croix (14 septembre), à la suite desquels des statuts étaient promulgués. Cette procédure n'est pas entièrement originale puisqu'elle remonte aussi aux origines de l'ordre de Vallombreuse, mais l'inspiration vient évidemment de la convention entre Molesme et Aulps signée en 1097, sous l'abbatiat de Robert. Depuis la fin du XIIe siècle, le Chapitre est assisté par un comité de définiteurs nommés par l'abbé de Cîteaux, le Définitoire. Les cisterciens acceptent cependant le soutien et le contrôle de l'évêque du lieu en cas de conflit au sein de l'ordre. Ainsi, dès 1120, sur le plan juridique et normatif, l'essentiel de ce qu'est l'ordre repose sur des principes solides et cohérents.
Les dates indiquées sont celles d'un établissement cistercien. Les abbayes cisterciennes ou trappistes aujourd'hui actives sont indiquées en gras.
Jusqu'à la Révolution française
Les abbayes primaires
Les quatre premières abbayes-filles de Cîteaux sont nommées abbayes primaires. Par extension, ce nom peut être donné également à l'abbaye de Cîteaux elle-même. En 1149, le bienheureux Serlon, troisième abbé de Savigny, rattache l'ensemble de sa congrégation à l'ordre de Citeaux comme fille de de Clairvaux mais en obtenant du chapitre général que l'abbé de Savigny prennent rang immédiatement après les abbés des cinq abbayes primaires. Cette préséance ne faisait pas de Savigny une fille de Cîteaux mais lui accordait un statut intermédiaire entre les abbés primaires et les abbés des filles des abbayes primaires. Elle prit fin en 1215 lorsque le chapitre, accédant aux protestations de Preuilly, déclassa Savigny après celle-ci.
Enfin, le cas particulier des abbayes féminines donne une prééminence à l'abbaye de Tart, sans que celle-ci acquière des prérogatives semblables à celles des quatre abbayes primaires masculines.
Filiation détaillée de la lignée de Cîteaux
Filiation détaillée de la lignée de La Ferté
Filiation détaillée de la lignée de Pontigny
Filiation détaillée de la lignée de Clairvaux
Filiation détaillée de la lignée de Morimond
Filiation des abbayes savigniennes
Sous saint Geoffroy († 1139), successeur saint Vital à la tête de l'abbaye, l'influence de Savigny, fondée en 1112, s’accroit rapidement et de nombreuses abbayes-filles apparaissent tant sur le continent que sur les îles britanniques. En 1149, le bienheureux Serlon, troisième abbé de Savigny, rattache l'ensemble de cette nouvelle congrégation à l'ordre de Citeaux dont elle devient la 5° fille, apportant à l'occasion la protection du roi Étienne d'Angleterre. Cette filiation est à l'origine de l'ordre de la Trappe.
- 1112 - abbaye de Savigny France (1112-1791)
- 1118 – abbaye des Vaux-de-Cernay France (1118-1791)
- 1137 – abbaye du Breuil-Benoît France (1137-1791)
- 1140 – abbaye Notre-Dame de la Trappe France (1140-actuellement)
- 1202 - abbaye des Clairets France (1202-1790)
- 1140 – abbaye Notre-Dame de la Trappe France (1140-actuellement)
- 1137 – abbaye du Breuil-Benoît France (1137-1791)
- 1123 – abbaye de Furness Angleterre fondée par Étienne de Blois (1123-1537)
- 1134 – abbaye de Rushen Angleterre île de Man (1134-1150)
- 1134 – abbaye de Calder Angleterre, détruite en 1138 et refondée en tant qu’abbaye de Byland en 1142
- 1142 – abbaye de Byland Angleterre par l’abbaye de Calder à la suite de sa destruction vers 1138 (1142-1538)
- 1145 – abbaye de Jervaulx Angleterre (1145-1540)
- 1142 – abbaye de Byland Angleterre par l’abbaye de Calder à la suite de sa destruction vers 1138 (1142-1538)
- 1135 – abbaye de Buildwas Angleterre (1135-1536)
- 1135 - abbaye de Swineshead Angleterre (1135-1536)
- 1180 - abbaye d'Inch Angleterre (1180-1541)
- 1196 - abbaye d'Abington Angleterre (1196-1627)
- 1127 – abbaye Notre-Dame du Bec France (1127-actuellement)
- 1130 – abbaye de Foucarmont France (1130-1791)
- 1190 - abbaye du Lieu-Dieu France (1191-1791)
- 1131 – abbaye Notre-Dame d'Aunay France (1131-1791)
- 1134 - abbaye de la Boulaye France (1134-1791)
- 1178 - abbaye de Croxden Angleterre (1178-1538)
- 1308 - abbaye de Torigny France (1308-1791)
- 1132 – abbaye Notre-Dame de Quarr Angleterre île de Wight (1132-actuellement)
- 1136 – abbaye de Buckfast Angleterre reprise à la demande d’Étienne d’Angleterre (1136-actuellement)
- 1137 - abbaye Notre-Dame de la Vieuville France (1137-1790)
- 1140 - abbaye de Coggeshall Angleterre (1140-1538) fondée à la demande d'Étienne d’Angleterre
- 1147- abbaye de Chaloché France (1147-1790)
- 1147- abbaye de Neath ( Angleterre 1147-1539)
- 1147- abbaye de Saint-André-de-Gouffern France (1147-1790)
- 1147- abbaye de la Boissière France (1147-1790)
- 1147- abbaye de Basingwerk Angleterre (1147-1536)
- 1147- abbaye de Combermere Angleterre (1147-1539)
- 1172 - Stanlow (en) Angleterre (1172-1296)
- 1214 - abbaye de Dieulacres Angleterre (1214-1538)
- 1219 - abbaye de Hulton Angleterre (1219-1538)
- 1296 - abbaye de Whalley Angleterre (1296-1537)
- 1147- abbaye de Fontaine-les-Blanches France (1147-1791)
- 1147- abbaye de Longvillers France (1147-1791)
- 1147- abbaye de Stratford Langthorne Angleterre (1147-1538)
- 1147- abbaye Sainte-Marie de Dublin Irlande (1147-1539)
- 1170 -abbaye de Dunbrody Irlande (1170-1537)
- 1210 - abbaye d'Abbeylara Irlande (1210-1540)
- 1148- abbaye de Beaubec France (1148-1790)
- 1172- abbaye Notre-Dame de Bon-Repos France (1172-1790)
- 1176- abbaye Notre-Dame de Barbery France (1176-1790)
- 1188- abbaye de Champagne France (1188-1791)
- 1118 – abbaye des Vaux-de-Cernay France (1118-1791)
Filiation des abbayes cisterciennes féminines
La filiation des abbayes féminines de l'ordre est beaucoup moins connue. Leopold Janauschek ne les recense pas ni, a fortiori, ne leur donne de numéro d'ordre.
Les abbayes féminines, jusqu'à la Révolution, ont une filiation hybride. Il existe d'une part la filiation à Tart, plus secondairement et localement celle à las Huelgas de Burgos, d'autre part des filiations mêlées à celles des abbayes masculines. La première s'explique par le refus d'Étienne Harding de soumettre les femmes à une règle aussi rigoureuse que celle des hommes. La filiation de Tart présente donc une règle cistercienne assouplie. D'autre part, lors de la création par des hommes d'une abbaye dans une région, il arrive fréquemment que des femmes de la famille de ceux-ci (mère, sœurs, voire femme) prennent également le voile dans une fondation située à peu de distance, et qui s'affilie avec le nouveau monastère cistercien,. On relève à la fin du XIVe siècle la dispartion d'abbayes qui, souvent pour des raisons de sécurité, rejoignent un monastère masculin : ainsi Belfays devient une grange de Morimond, Vauxbons rejoint Auberive et Montharlot Champlite. Pour les mêmes raisions de sécurité, mais aussi pour une nécessaire reprise en mains, deux siècles plus tard Corcelles et Colonges sont accueillies par leurs sœurs d'Ounans, elles-mêmes déjà réfugiées dans les murs de Dôle ; et en 1623 Tart émigre à Dijon où les moniales qui ont accepté le déplacement adoptent rapidement la réforme de Rumilly.
Par ailleurs, la filiation des abbayes féminines est difficile à établir, car, si c'est bien une abbaye féminine qui en fonde une autre, en revanche, dans la gestion quotidienne, une disposition de la règle cistercienne interdit à la supérieure d'une abbaye de visiter ses filiales ; c'est donc le monastère cistercien masculin le plus proche, ou le plus apte, qui devient « père » immédiat de la nouvelle abbaye cistercienne. De surcroît, cette affiliation d'un monastère féminin à un monastère masculin est matérialisée aussi symboliquement que concrètement par le paiement d'un cens annuel. Par exemple, les moniales de l'abbaye de Bussières-les-Nonains, maison fondée par l'Éclache en 1182, dépendaient des cisterciens de Noirlac et leur payaient une livre d'encens annuelle. Cette interdiction ne remonte pas aux premiers temps du cistercianisme, mais s'impose à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle. On peut encore dater quatre « chapitres généraux » spécifiques à la filiation de Tart entre 1268 et 1302, preuve que cette filiation était une réalité. Les chapitres, en revanche, ne constituaient pas comme pour les hommes un espace de prise de décision, mais un espace d'information de ce qu'y s’était dit au chapitre général de Cîteaux (et donc, des abbés masculins), ce qui explique le peu d'enthousiasme des abbesses à s'y rendre.
Filiation indéterminée :
Filiation des bernardines réformées
Après la Révolution française
Les abbayes cisterciennes et trappistes gardent ce même principe de filiation des abbayes. Mais, à la différence de ce qui est fait avant la Réolution, les abbayes féminines et masculines sont certes numérotées à part, mais n'ont pas deux filiations distinctes.
Filiation détaillée des abbayes cisterciennes
Les abbayes cisterciennes de la commune observance sont regroupées à travers diverses congrégations, chacune ayant à sa tête une abbaye-mère.
Congrégation Saint-Bernard d'Italie
Congrégation de Zirc
Voir Congrégation de Zirc (de).
Congrégation de Mehrerau
Congrégation de Mehrerau
Congrégation d'Anagni
Congrégation d'Anagni (de)
Congrégation de Port-Royal
Congrégation de Port-Royal
Congrégation cistercienne vietnamienne
La Congrégation cistercienne vietnamienne (vi) rattachée à l'ordre cistercien de la Stricte Observance compte douze abbayes, toutes au Viêt Nam sauf la dernière située aux États-Unis :
Cisterciennes bernardines d'Esquermes
Les cisterciennes bernardines d'Esquermes dont la maison mère est située à Saint-André-lez-Lille, dans le Nord de la France, compte 7 monastères :
- L'abbaye Notre-Dame de la Plaine, France, maison-mère de la congrégation,
- Le monastère Stella Maris, à Mikkabi, Japon,
- Le monastère Notre-Dame du Lac, à Goma, République démocratique du Congo
- Monastery of Our Lady of Hyning, à Carnforth, Angleterre,
- Le monastère Notre-Dame de Bafor, à Diebougou, Burkina Faso,
- Monastery of Our Lady and Saint Bernard, à Brownshill, Stroud, Angleterre,
- Une fondation au Viêt Nam.
Congrégation de l'Immaculée Conception
La Congrégation de l'Immaculée Conception, dont le siège est à Lérins, compte sept monastères :
Filiation détaillée des abbayes trappistes
Références
Notes
Références
Voir aussi
Bibliographie
Sites externes
- Site généraliste sur les cisterciens et leurs abbayes
- Histoire de l'ordre cistercien et de ses branches
- Sites cisterciens
- Portail de l'Ordre cistercien
- Portail du christianisme
- Portail du monachisme


![]()
